La fête battait son plein lorsque le gardien du château s’approcha de l’hôte, une jeune femme richement vêtue, qui était en train de se servir une coupe de vin à côté d’un groupe de convives.
« Madame, je suis désolé de vous déranger, mais il y a un problème avec les ruines.
– Les ruines ? La jeune femme leva un sourcil. Quel problème ?
– La porte d’entrée s’est ouverte toute seule et il y a des bruits étranges qui en sortent. Nous avons envoyé quelques gardes pour enquêter, mais ils n’ont rien trouvé. »
La jeune femme mit sa coupe de côté.
« J’imagine que je devrais aller jeter un coup d’œil. Vous pouvez m’indiquer la direction ? »
Le gardien hocha la tête et conduisit la jeune femme à travers les jardins jusqu’aux ruines. Les convives échangèrent des regards inquiets en la voyant partir, mais la jeune femme était connue pour sa bravoure, alors personne n’osa la dissuader.
Les ruines étaient un endroit sombre et lugubre, couvert de lierre et de mousse. À l’origine, tour du puissant Asras, mage du royaume, elle avait été presque totalement détruite lors d’un duel magique. Les fenêtres ne ressemblaient plus qu’à un amas de pierres décomposées et de poussière, révélant la beauté perdue de l’architecture. Des plantes grimpantes et des arbres avaient émergé de chaque interstice de la pierre, transformant l’endroit en un lieu où la nature et les vestiges du passé se mélangeaient harmonieusement. La porte s’élevait elle, grande et massive, avec des gravures qui représentaient des créatures ailées mythiques : des dragons.
La jeune femme fit signe aux gardes de rester en arrière et s’approcha de la porte, tendant l’oreille pour écouter les bruits étranges qui en sortaient.
Elle n’entendit rien d’abord, mais après quelques minutes, elle perçut un faible murmure. C’était comme si des voix murmuraient des paroles indistinctes, presque inaudibles. La jeune femme frissonna, mais se rappela qu’elle était une dame d’honneur et qu’elle ne devait pas montrer de peur.
Elle poussa la porte et entra avec précaution dans les ruines.
L’intérieur apparaissait sombre, mais elle pouvait voir une faible lueur au bout d’un couloir. Elle se dirigea vers elle, enjambant les pierres cassées et les débris. Elle arriva bientôt dans une salle voûtée, où une petite flamme brûlait dans un foyer.
Il y avait une table au centre de la pièce, avec une chaise en face. La jeune femme regarda autour d’elle, mais ne vit personne.
« Bonjour ? appela-t-elle. Y a-t-il quelqu’un ici ? »
Elle pressentit plus qu’elle n’entendit un bruit derrière elle et se retourna pour voir un homme surgir de l’ombre. Grand et mince, avec des cheveux noirs et des yeux perçants. Il n’apparaissait pas tout à fait réel. Presque translucide, comme s’il était fait de brume, il se déplaça jusqu’à elle.
« Bonjour, Madame, dit-il d’une voix douce, mais lointaine. Je suis désolé de vous avoir fait venir ici, mais j’avais besoin de votre aide.
– Mon aide ? » répéta la jeune femme, surprise autant par l’apparition que par ce qu’il venait de dire.
L’homme hocha la tête.
« Je suis un mage, Madame, et j’ai été piégé ici pendant des années. Je ne peux pas sortir, mais je peux communiquer avec le monde extérieur. J’ai entendu dire que vous étiez une dame de confiance. »
La jeune femme le dévisagea, sceptique. Elle avait entendu parler de mages décédés de mort brutale et dont l’âme demeurait liée au lieu de leur trépas, mais elle ne croyait pas vraiment à leur existence.
Elle ne savait pas non plus grand-chose de ces ruines et de leur propriétaire originel. Un secret les entourait que seuls les descendants directs d’Asras connaissaient. Or son mari était décédé voilà plusieurs années sans qu’ils n’aient de descendance, et le mystère avait été perdu à jamais.
Cependant, quelque chose dans la voix de l’homme lui inspirait confiance, et elle décida de l’écouter.
« Que puis-je faire pour vous ? » demanda-t-elle.
L’homme lui expliqua qu’il avait besoin d’un objet très précieux, un talisman magique caché dans le sous-sol des ruines. Il lui donna une description détaillée de l’endroit où il se trouvait et comment y accéder.
« Je ne peux pas quitter cet salle, mais je peux vous guider de loin. Si vous me rapportez le talisman, je vous récompenserai généreusement.
– Puisque vous semblez me connaître, vous devez savoir que je n’ai aucun besoin d’argent ou de richesses.
– Il y a bien d’autres façons de vous remercier : le pouvoir, la jeunesse éternelle… »
Le mage se tut. Il avait découvert les désirs de la jeune femme, il pouvait le lire sur son visage.
La jeune femme hésita. Elle avait déjà vu de nombreuses choses étranges dans sa vie, mais cela dépassait l’entendement. Elle se demanda si elle devait appeler un prêtre et chasser l’esprit, mais l’appât et quelque chose dans son regard la convainquirent de lui donner une chance.
« Très bien, dit-elle enfin. Je vais chercher ce talisman pour vous. Mais pas ce soir, j’ai des invités. Je reviendrai dès demain. »
L’homme hocha la tête et lui donna un médaillon en forme de dragon.
« Cela vous aidera à me contacter si vous avez besoin de moi. »
La jeune femme le mit autour de son cou et sortit des ruines. Elle trouva les gardes qui l’attendaient à l’extérieur et leur donna une explication vague sur les bruits étranges.
De retour à la fête, elle ne pouvait pas s’empêcher de penser à l’homme mystérieux dans les ruines. Elle se demanda si elle faisait bien de l’aider. Peut-être pourrait-il enfin quitter ce plan d’existence une fois le talisman en sa possession ?
Le lendemain matin, elle se leva tôt et partit à la recherche du lieu décrit par l’homme. Dans les ruines, elle trouva un escalier de pierre qui descendait vers le sous-sol. Elle l’emprunta munie d’une chandelle. Là, des piliers brisés gisaient à terre, des amas de pierre parsemaient le sol et les restes de meubles mangés par le temps et les mites recouvraient les murs.
Il y avait quelque chose de sinistre dans l’air. La jeune femme pouvait sentir que les ruines n’étaient pas simplement un vestige du passé, mais qu’elles possédaient encore une signification mystique et étrange. Des ombres semblaient bouger parmi les décombres, créées par la lumière vacillante de la bougie.
C’était un endroit sombre et effrayant, plein de toiles d’araignées et de gravats. Elle chercha le talisman pendant des heures dans de nombreuses salles, mais ne trouva rien. Elle commença à penser que l’esprit l’avait trompée, quand elle entendit une voix dans sa tête.
« C’est par ici, dit l’homme. Suivez-moi. »
La jeune femme fut surprise.
« Comment faites-vous cela ? questionna-t-elle à haute voix.
– C’est le pouvoir du médaillon en forme de dragon » lui apprit-il.
La peur envahit la jeune femme. Avait-il la capacité de lire dans ses pensées, ou de voir ce qu’elle voyait ?
Perdue, elle décida de suivre les instructions. Elle arriva bientôt devant une porte verrouillée, qui semblait être en parfait état malgré le reste des ruines.
« Fermée… » souffla-t-elle.
Elle regarda autour d’elle. Elle se trouvait dans un petit vestibule sombre, avec des murs en pierre grise et un plafond voûté. Des toiles d’araignées pendaient des coins du plafond et les dalles de pierre du sol étaient recouvertes de saletés, produits du temps.
Sur un pan de mur se dressait une armoire en bois massif, dont la porte était elle aussi fermée à clé. Elle avait l’air ancienne, avec des motifs sculptés sur les portes et les côtés. Le dessus du meuble était recouvert d’une couche de poussière épaisse et quelques objets poussiéreux et oubliés. Malgré son âge apparent, elle se présentait en bon état. Les poignées et les serrures semblaient encore solides, et il n’y avait pas de signes évidents de dégradation.
Dans l’ensemble, la pièce avait un air irréel et de mysticisme, ce qui donnait l’impression que quelque chose d’important et de mystérieux se trouvait caché à l’intérieur de l’armoire.
La jeune femme examina attentivement l’armoire en bois massif, cherchant un moyen de l’ouvrir sans clé. Elle remarqua que les portes étaient maintenues en place par de lourdes charnières en fer fixées solidement au cadre. Une petite fente entre les deux portes se faisait jour, qui semblait assez grande pour qu’elle puisse y insérer quelque chose.
Après avoir fouillé dans ses poches, la jeune femme sortit un petit outil en forme de crochet qu’elle avait emmené à tout hasard pour ce genre de situation. Elle inséra celui-ci dans la fente entre les deux portes du meuble et commença à travailler sur les mécanismes internes de la serrure.
Après plusieurs minutes de travail méticuleux, la jeune femme réussit à déverrouiller la serrure et les portes de l’armoire s’écartèrent lentement. À l’intérieur, elle découvrit plusieurs objets, dont un vieux livre mité et une boîte en bois cachée sous une pile de vieux vêtements. Elle l’ouvrit et trouva une clé en fer rouillé. Immédiatement elle alla tester sa trouvaille dans la serrure de la porte verrouillée. Après un peu de malchance, la clé tourna finalement dans la serrure, libérant la porte et lui permettant d’entrer dans la pièce.
C’était un petit cabinet de travail, avec une étagère au fond. Sur l’étagère se trouvait une petite boîte en argent, ornée de joyaux.
La jeune femme prit la boîte et l’ouvrit, mais elle se révéla vide. Elle la mit dans son sac.
Finalement, elle repéra le talisman, posé sur un piédestal dans une petite alcôve. Bien que simple, à peine plus grand qu’une pièce de monnaie, fabriqué à partir de métaux ordinaires, elle pouvait sentir sa puissance en approchant. Il était plat et circulaire, avec des motifs complexes gravés à la surface, qui scintillaient sous la lumière. Les gravures semblaient représenter des symboles magiques et des runes anciennes, mais la signification exacte de ces motifs restait un mystère. Il se révéla légèrement chaud au toucher, comme s’il contenait une énergie vive et mystique.
La jeune femme pouvait sentir que cet objet était très puissant, bien qu’elle ne sache pas exactement comment l’utiliser ou quelle était sa véritable nature. Cependant, elle avait entendu des rumeurs selon lesquelles des objets de cette sorte étaient capables de conférer des pouvoirs surnaturels à leur porteur. Certains pouvaient guérir toutes sortes de maladies, tandis que d’autres accordaient une longue vie et même l’immortalité.
La jeune femme le saisit et l’enfouit à la suite de l’écrin. Elle avait compris qu’il s’agissait d’un objet extrêmement précieux et potentiellement dangereux, qui pouvait causer des ennuis à ceux qui cherchaient à le posséder ou à l’utiliser. Elle devait rester prudente avec.
Elle sortit de la pièce et marcha pendant un moment, avant de réaliser qu’elle ne reconnaissait pas les lieux autour d’elle et ne savait pas comment s’échapper du sous-sol. Elle tira de sous son chemisier le médaillon en forme de dragon que l’homme mystérieux lui avait donné et le secoua. Soudain, elle entendit de nouveau la voix de l’homme dans sa tête.
« Je suis là, suivez ma voix », dit-il.
La jeune femme suivit les instructions et arriva bientôt à un escalier, cette fois plus étroit que le premier. Elle remonta et retrouva la salle où elle avait rencontré l’esprit la veille. Il se tenait en son centre, comme s’il l’attendait.
« Je savais que vous trouveriez le talisman, dit-il en souriant. Et maintenant, vous allez me le donner. »
Le mage tendit la main. Le ton dans sa voix avait changé.
La jeune femme referma sa prise sur son sac. Elle se sentait d’un coup mal à l’aise. Elle avait l’impression d’avoir été piégée, et ne savait pas comment s’en sortir.
« Je ne peux pas vous donner le talisman » affirma-t-elle enfin.
L’homme la regarda fixement.
« Je vois, dit-il. Dans ce cas, je vais devoir vous convaincre autrement. »
Il leva la main et prononça une formule magique. La jeune femme sentit soudainement une douleur intense dans tout son corps, comme si elle était en train de brûler de l’intérieur. Elle cria et se tordit de désespoir, mais l’homme ne bougea pas.
« Rendez-moi le talisman, répéta-t-il d’une voix calme. Maintenant. »
La jeune femme lutta contre le mal, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas tenir plus longtemps. Fatiguée et affamée, elle finit par sortir l’objet de ses affaires et le tendit à l’homme.
« Prenez-le, murmura-t-elle. Je ne veux plus rien avoir affaire avec vous ! »
L’homme prit le talisman et le regarda attentivement. Il sourit, puis se tourna vers la jeune femme.
« Vous avez été une bonne petite voleuse. Mais vous avez encore beaucoup à apprendre, et cela n’était que le début… »
L’homme récita une incantation. Dans sa paume, la pièce émit une lumière orangée qui l’enveloppa tout entier. Son teint blafard se réchauffa et des couleurs vinrent inonder ses joues. La vie venait de jaillir dans son corps. Il prit une profonde inspiration, et regarda ses mains devenues tangibles. Un air satisfait se dessina sur son visage.
Il regarda autour de lui et émit un claquement de la langue, mécontent de ce qu’il voyait.
L’homme enveloppa le talisman dans un mouchoir et le rangea dans une poche de sa tenue. Il leva les bras, paumes de mains vers le plafond, et ferma les yeux.
Une lumière naquit autour de lui telle une aura mystique, qui se répandit ensuite dans toute la pièce, illuminant les ruines. Les pierres brisées et les blocs de pierre éparpillés commencèrent à se déplacer et à se rassembler en place, formant des murs et des colonnes. La poussière et les débris furent soufflés par une brise magique, nettoyant et polissant les pierres jusqu’à ce qu’elles apparaissent comme neuves.
La jeune femme, bousculée à droite, à gauche par ce remue-ménage, tremblait de peur. Elle ne comprenait pas ce qui se passait et ne savait pas ce qu’il allait advenir d’elle. Mais elle se sentait incapable de fuir, emmenée par la curiosité.
Le processus de reconstruction se poursuit jusqu’à ce que les ruines soient entièrement restaurées dans leur forme originale. Les portes et les fenêtres s’ouvrirent, les escaliers furent restaurés, les décorations remises en place, et tout ce qui avait été perdu ou endommagé fut reconstruit.
Une fois que la magie eut opéré, les ruines étaient redevenues une structure majestueuse et imposante.
Émerveillée, quoique effrayée aussi par ce renouveau, la femme observait tout autour d’elle.
L’homme sortit une bourse de sa poche et la posa sur la table devant elle.
« C’est pour vous, dit-il. Pour vous remercier de votre aide. »
La jeune femme prit la bourse d’une main tremblotante, puis regarda l’homme.
« Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle.
– Je suis un mage, comme je vous l’ai dit, répondit-il. Et je travaille pour un ordre secret qui cherche à remettre de l’ordre dans ce monde. Le talisman que vous avez récupéré m’appartenait du temps où cette tour surplombait avec majesté toute la cité. Sa puissance seule pouvait me délivrer de cette prison. Grâce à vous, je vais enfin pouvoir mettre mon plan à exécution ! »
La jeune femme secoua la tête, essayant de comprendre tout ce qu’elle venait d’entendre.
« Et maintenant ? demanda-t-elle.
– Maintenant, vous pouvez rentrer chez vous, répondit l’homme. Vous avez mérité votre récompense, et je n’ai plus besoin de vous. Mais restez sur vos gardes, car le monde est sur le point de changer. »
La jeune femme acquiesça lentement, puis se leva. Elle prit la bourse et sortit des ruines qui n’en n’étaient plus, encore choquée par tout ce qui venait de se passer.
Lorsqu’elle regagna sa demeure, elle se retourna. La tour s’élevait haut vers le ciel. Si les ruines apparaissaient sombres et lugubres, elle ne l’était pas moins. Alors la jeune femme comprit que ce qu’elle venait de faire aurait des conséquences désastreuses, et elle se jura de tout mettre en œuvre pour racheter ses actes.
Elle ouvrit la bourse que l’homme lui avait offert. Un anneau tressé, symbole de la jeunesse éternelle, entouré d’une aura magique s’y trouvait.