Le donjon des mystères (chapitre 9)

Chapitre 9 : Semé d’embûches

Aux aguets, nous considérâmes les possibilités qui s’offraient à nous : à gauche un couloir, à droite un couloir…

« Bon Darken, on ne va peut-être pas y passer la journée, marmonna Mallirk en s’asseyant sur les dalles. Surtout que nous avons déjà perdu pas mal de temps entre les monstres et les pièges.

— Malheureusement, si nous voulons rester en vie, nous n’avons pas le choix », répondis-je moi-même impatient d’en finir.

Tandis que Sylorin tentait de détecter un quelconque traquenard supplémentaire, je pris une profonde inspiration et prononçai quelques paroles mystiques. Autour de nous, je ne perçus pas de traces de sortilèges.

« La voie est libre. »

Le demi-elfe revenait de son inspection à l’instant où je finissais moi-même ma détection. Nous étions arrivés à la même conclusion après avoir pris encore près d’une dizaine de minutes.

« Cela ne nous dit pas quel côté emprunter, nous interrompit le nain. Une idée Darken ? »

Je pris un instant supplémentaire de réflexion.

« Prenons par la gauche, lançai-je enfin.

— Une raison particulière à ce choix ? demanda Mallirk.

— Quel que soit le chemin que nous suivrons, nous aurons toujours les mêmes épreuves à traverser.

— Donc nous nous en remettrons à la chance », ironisa le prêtre en se relevant.

Sylorin prit la tête de notre groupe. Derrière lui venait Broc, resté jusqu’à présent silencieux et que je sentais de plus en plus nerveux, surtout depuis notre rencontre avec la nymphe. Il serrait dans ses mains son imposante hache si fort que ses ligaments ressortaient d’une blancheur sordide. J’avançais à sa suite et Mallirk fermait la marche, prêt à défendre nos arrières à la moindre attaque ennemie.

Au contraire du niveau précédent où pénétrait la lumière du jour à travers de grandes ouvertures, ici, il y régnait une atmosphère inquiétante où la nuit dominait. Si cela ne dérangeait pas notre éclaireur et notre arrière, Broc et moi nous trouvions handicapés. Même en jetant un sort afin de disposer d’une source de rayonnement, un feu follet qui se déplaçait à mon rythme, nous ne voyions pas à plus de deux ou trois mètres autour de nous. Intervenir à distance se révélait dans ces conditions toujours plus compliqué. Je devais alors me reposer sur mes coéquipiers pour qu’ils m’indiquent avec précision dans quelle direction émettre mes projectiles.

Nous avancions dans le silence. Notre progression se montrait lente, car Sylorin qui avait repris le rôle de Roldo en tant qu’éclaireur, veillait à inspecter toute zone suspecte. Il nous évitait ainsi de tomber dans des pièges. Pour l’heure rien n’était venu entraver notre progression, quand le demi-elfe nous signifia l’arrêt. Du doigt il nous indiqua son oreille, nous invitant à l’écoute. Je compris rapidement ce qui l’avait alerté. De petits cris presque imperceptibles, mais innombrables, rompaient la tranquillité des lieux. Ensemble, Sylorin et moi levâmes les yeux. Même si je ne pouvais les distinguer, je savais qu’une nuée de chauves-souris grouillait au-dessus de nos têtes. Sans doute la flammèche que j’avais invoquée l’avait éveillée, et elle ne tarderait pas à nous assaillir. Je ne me trompais pas. Avant d’avoir pu entamer l’incantation d’un nuage toxique, les bestioles prirent leur envol et fondirent sur nous. Lançant malgré tout mon sort, je réussis à en tuer instantanément plus d’une et à nous donner un peu de répit. Aussitôt, je sentis l’excitation du combat m’étreindre alors que la panique face à la multitude s’emparait de Broc. Incapable de se maîtriser, il se mit à donner de larges coups de hache en tous sens. S’il parvint à en atteindre certaines, les chauves-souris ne ralentirent pas et se jetèrent sur lui, assoiffées de sang. Rapidement il fut couvert d’entailles et se vit obligé de se protéger le visage de ses bras, abandonnant son arme à terre.

Sylorin lui aussi avait opté pour une tactique d’évitement. Muni de ses seules dagues, il avait d’emblée compris qu’il ne lui servait à rien de s’échiner à droite et à gauche. Alors, toujours aussi prompt dans ses actions, il avait dégrafé la cape qui lui servait d’ordinaire de couverture et qui se trouvait accrochée à son sac à dos, pour s’en recouvrir. Recroquevillé au sol, il devenait inatteignable pour les chiroptères qui ne se souciaient d’ailleurs pas de lui.

Mallirk quant à lui, équipé de pied en cap de son armure, apparaissait le moins ennuyé par les volatiles, d’autant qu’il arrivait en dernier. À mon grand étonnement il rangea son marteau à son côté, mais je compris vite quelle en était la raison lorsqu’il attrapa à deux mains son pavois. Ce dernier, plus large, lui donnait la possibilité de frapper davantage de chauves-souris d’un coup. Et il ne se montrait pas avare en énergie. En moins d’une minute, tandis que mes gaz chargés de toxines débarrassaient toutes les vermines du plafond, il vint à bout de celles qui nous tournaient autour. Il n’épargna pas Broc, comptant sur sa résistance, ou trop heureux de pouvoir lui flanquer une raclée, car il assomma bon nombre des créatures nocturnes directement sur le dos du malheureux.

Si quelques-uns de ces volatiles suceurs de sang s’échappèrent, nous parvînmes néanmoins à assainir l’espace proche. Broc, déjà bien retourné, montrait de plus en plus de signes de lassitude. Même après les soins que lui prodigua le nain et qui firent disparaître totalement ses vilaines griffures, il demeura dans un état d’agitation mental assez inquiétant pour la suite de notre visite. Néanmoins, je ne pouvais me permettre de faire marche arrière pour un seul blanc-bec qui avait mésestimé ses forces.

Sylorin, Mallirk, mais c’était le cas également de feu Roldo, étaient rompus à l’aventure. L’exploration de donjons n’avait plus de secrets pour eux. Ils savaient gérer la tension inhérente à celle-ci, parfaitement conscients qu’un piège, une créature ou un maléfice pouvait leur tomber dessus à tout instant. A contrario, Broc ne possédait aucune expérience du terrain, quoiqu’il ait pu avancer au moment de son recrutement. Néanmoins, s’il ne valait pas un bon guerrier senior, il disposait de l’avantage de se trouver présent. Aussi faible soit-elle, sa contribution pouvait nous permettre d’aller plus loin, et je regrettais qu’il fût le seul à s’être présenté à moi. J’avais espéré dénicher des talents supplémentaires dans la ville de Iolcos. Pourtant, malgré même la mise en avant de trésors à déceler, le guerrier se montra le seul intéressé. Je doutais d’ailleurs qu’il se soit décidé à la suite de ma promesse de richesses. Pour moi, ses motivations tenaient plutôt dans la réputation qu’il espérait acquérir en sortant de là. Encore fallait-il qu’il en sorte… 

« Il y a encore quelque chose là-haut », murmura soudain le demi-elfe.

À cette annonce, une goutte de sueur perla sur le front de Broc. Les émotions ne tarderaient plus à le submerger, j’en aurais mis ma main à couper. Pour l’heure, je plongeai mes yeux dans le recoin obscur désigné par l’assassin. Hélas, toute ma concentration fixée sur ce point, je ne parvenais pas à distinguer quoi que ce soit. Quand l’impression d’un mouvement m’alerta et je décochai un nouveau trait de feu. Le sort qui s’élança droit comme une flèche illumina la zone d’une lueur verdâtre avant d’exploser au plafond sans rien atteindre. La créature tapie là quelques secondes plus tôt affichait une vivacité impressionnante pour l’avoir esquivé.

Mes camarades et moi tentâmes de suivre son déplacement, mais elle demeurait dissimulée dans l’ombre, et nous ne réussîmes qu’à nous faire surprendre lorsqu’elle s’abattit sur nous. De ses pieds aux doigts crochus comme des serres, la stryge chercha à saisir le nain par les épaules. Peut-être désirait-elle l’emmener pour se repaître de sa chair, ou encore s’envolant à bonne hauteur elle l’aurait alors précipité vers une mort certaine ? Par chance, elle n’accrocha que le métal et ne trouva pas de prise. Et même sans cela, le poids de Mallirk l’aurait très probablement découragée dans ses projets.

La bête se présentait sous une forme humanoïde, à la différence près que des ailes similaires à celles des chauves-souris lui donnaient la possibilité de voler. En outre, quoique avec un faciès féminin avenant, ses grands yeux comme des billes noires, ses canines vampiriques et son incapacité totale à émettre autre chose que des cris stridents, ne la rendaient pas sympathiques.

Malgré son échec, elle réitéra son offensive en changeant de proie. La hache de Broc et les poignards de Sylorin durent la dissuader de les prendre pour cible. À son grand malheur, elle choisit ainsi de s’élancer sur moi. Elle posa ses pattes de chaque côté de ma nuque et ses griffes s’enfoncèrent profondément dans mon dos. Malgré la douleur, et parce que je m’y étais préparé, je saisis de mes mains nécrosantes les chevilles de la stryge. En effet, vaporiser des toxines ne représentait pas ma seule capacité d’empoisonneur. Si je préférais les attaques à distance, je disposais également d’une panoplie de sortilèges de corps-à-corps.

Très vite l’air fut empli d’une odeur de chair en décomposition. Car la créature eut beau tirer dans tous les sens pour s’extraire du piège que je lui avais tendu, je ne lâchai pas prise. Même les charges de ses serres dans mon dos, ne réussirent à me faire abandonner. Quand elle décida de m’emmener avec elle dans les airs.

Mes pieds quittèrent le sol. Cependant, mes compagnons ne lui laissèrent pas le champ libre. Sylorin, prenant de l’élan, sauta, ses deux lames dans les mains. Sa formidable détente lui permit de planter ses fers juste au-dessus des ailes de la stryge. Sans lâcher les manches, il pesa lui aussi de tout son poids sur elle. La charge et les maux lui firent aussitôt perdre de l’altitude et je retrouvai le sol tandis que Broc et Mallirk en finissaient avec elle.

Cette simple victoire, si elle obligea à nouveau le prêtre à user de ses soins et dépenser un peu d’énergie supplémentaire sur moi, remonta la confiance du guerrier qui en avait besoin.

Nous reprîmes notre marche toujours à pas de loup. Après avoir passé dix minutes pour progresser d’une cinquantaine de mètres à peine, nous dûmes une nouvelle fois nous arrêter. Une porte en bois agrémentée de renforts en fer nous bloquait l’accès.

« Alors là, nous allons avoir un problème, annonça Sylorin.

— Comment cela ?

— Dans ma profession nous avons l’habitude de repérer les souricières et autres embuscades, mais je n’ai aucune compétence en matière de crochetage de serrure. Je ne saurais pas non plus désamorcer un éventuel piège s’il y en a un.

— Donc quoi ? On tire à la courte-paille celui de nous qui va tourner la poignée et peut-être se recevoir une pluie de météorites ou une coulée d’acide ? ironisa Mallirk.

— Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup d’autres choix, fis-je. Reculez ! »

Mes trois compagnons ne se le firent pas dire deux fois. Tous mirent plusieurs mètres de distance entre la porte et eux, se plaquant même contre les murs du couloir.

Je joignis alors mes mains. Dans un mouvement rapide je les frottai l’une sur l’autre et prononçai dans le même temps une incantation. Mes mains devinrent au bout d’une dizaine de secondes chaudes, presque brûlantes. Après encore autant de temps, une moiteur qui n’avait rien à voir avec de la sueur, apparut. Rapidement, pour ne pas perdre l’effet momentané du sortilège, j’apposai mes paumes autour de la poignée de la porte. L’acide que je venais de produire se mit aussitôt à l’œuvre et rongea bois et métal en moins d’une minute. La poignée tomba sur les dalles dans un bruit strident et ouvrit une brèche vers la suite de notre aventure. Me penchant en avant, je tentai de percevoir ce qui s’y trouvait. Mais là aussi, l’obscurité régnait.

« Et maintenant ? demanda Broc d’une voix mal assurée.

— La serrure n’est plus un problème. Maintenant, reste à ouvrir la porte…

— Bougez pas, je m’en charge ! proposa Mallirk en s’approchant, marteau en mains. Vous feriez mieux de vous éloigner », me conseilla-t-il.

Je fis quelques pas en arrière, et signifiai au nain qu’il pouvait se lancer. Positionné de côté, il leva son arme et d’un coup l’abattit sur le panneau. Une avalanche de bois fut alors dispersée dans toutes les directions. De la taille d’épines de porcs-épics, les fragments qui ne provenaient pas de l’explosion de la porte, mais bien d’un piège, nous frappèrent avec violence.

Mon nuage empoisonné ne produisit pas le moindre effet face à ces échardes inanimées. Je reçus donc plusieurs de ces projectiles de plein fouet. Par bonheur, si l’un se planta sur cinq centimètres dans mon bras, les deux autres qui me touchèrent, m’entaillèrent à peine la peau. L’un à la joue, l’autre à l’épaule. Broc compta autant de chance avec une épine qui lui transperça la main gauche, une enfoncée dans sa cuisse et une dernière qui avait ricoché sur la lame de sa hache. Quant à Mallirk, quoique le plus proche, il fut le moins touché, car situé dans un angle-mort de l’ouverture et porteur d’une armure lourde.

Hélas, Sylorin joua de malchance. Emmitouflé dans sa cape que je découvris être ignifugée, il baignait dans son sang. Un trait s’était fiché dans sa gorge, un second dans son œil, pénétrant tout entier jusqu’à son cerveau. Tous les trois penchés sur sa dépouille, nous restâmes silencieux un instant.

« Comment on va faire maintenant ? demanda Broc, conscient que nous perdions notre dernier expert en découverte de pièges.

— Prenez la tête », répondis-je sur un ton qui ne souffrait aucune contestation.

Le guerrier ne répliqua pas. Il passa devant une fois nos blessures pansées. Car Mallirk avait déjà dépensé beaucoup de son énergie magique pour nous soigner, et avait besoin de repos avant de pouvoir en faire à nouveau usage. Nous nous étions ainsi contentés d’extraire les piquants et stopper les écoulements sanguins.

Pour plus de sûreté, je pris la peine d’invoquer un second esprit follet qui devait se déplacer entre trois et cinq mètres devant Broc, l’autre demeurant à proximité immédiate. De cette manière, même sans être nyctalope, il se trouvait plus à même de détecter un éventuel danger. Malgré cela, notre avancée se montra encore ralentie.

Roldo était un pisteur. Un maître en la matière. Ses compétences, il les avait gagnées au cours de ses nombreuses explorations, n’en ressortant pas toujours indemne. Il lui avait ainsi fallu des années pour les acquérir. Mais son expérience précieuse avait fini par faire de lui un expert. Il avait même développé comme un sixième sens qui lui faisait pressentir un traquenard avant même de le voir. Il savait repérer quels endroits s’avéraient parfaits pour cacher une souricière. Il pouvait dire avec précision quelle dalle allait déclencher quel piège, et d’où proviendrait la menace. En mon for intérieur je pestais encore qu’il ait pu se faire avoir si bêtement. Perdre ses moyens face à une nymphe ne s’avérait pas digne de lui.

Sylorin ne possédait pas les mêmes aptitudes. Si un assassin se devait de pouvoir détecter d’éventuels risques l’empêchant d’accéder à sa cible, cela restait limité. Son rôle se voyait d’ailleurs rarement mis en avant lorsqu’il s’agissait de découvrir une zone géographique ou un bâtiment tel que le donjon des mystères. Sa mission résidait dans le meurtre, pas dans la fouille à la recherche de trésors. Quelque part, sa disparition me soulageait un peu, car je n’étais pas totalement sûr qu’il ne nous aurait pas tous égorgés une fois notre but atteint. Cependant, elle signifiait aussi une plus grande vulnérabilité aux prochaines épreuves. Pourvu que notre guerrier les localise à temps, ou au moins qu’il nous serve de bouclier. Car Broc n’était en réalité utile qu’à cela.

Avec une lenteur exaspérante, il mettait un pied devant l’autre, tâtant au passage chaque dalle, et cherchant d’une main à découvrir sous chaque aspérité du mur un trou d’où pourraient s’échapper des projectiles. L’envie de lui flanquer une grande tape dans le dos pour le faire avancer me taraudait, car impatient d’arriver au bout. Néanmoins, je calmai mes ardeurs et progressai dans son sillage. Mallirk fermait toujours la marche, et j’entendais dans ses profondes expirations ce qu’il lui en coûtait aussi.

Nous traversâmes une salle à première vue vide, à l’exception de flambeaux qui brûlaient de chaque côté des portes. Nous ne nous attardâmes pas et poursuivîmes vers un nouveau corridor qui nous obligea à tourner sur la droite. Rien ne semblait habiter cette zone, et je pestais intérieurement, car persuadé que nous perdions notre temps pour rien. Quand Broc nous somma de nous arrêter, et nous le vîmes s’agenouiller. Nous positionnant à sa hauteur, nous aperçûmes presque stupéfaits, un fil tendu en travers du couloir. En fin de compte, notre patience et la minutie incroyable du guerrier, allaient nous éviter des problèmes.

Au ralenti, nous enjambâmes le cordon l’un après l’autre et reprîmes notre marche. Devant nous, à moins de dix mètres, deux nouvelles torches allumées se trouvaient accrochées au mur de gauche, de part et d’autre d’une ouverture. En face, le couloir se prolongeait jusqu’à un coude qui donnait sur la droite.

« Super, encore un choix à faire, ronchonna le nain. Alors Darken, par où va-t-on ?

— Il me semble que le chemin en face de nous doit nous ramener au seuil de l’étage, d’où nous venons. Je propose donc que nous nous engagions par cette porte. »

La porte en question, bien éclairée, nous apparut similaire à la précédente qui avait vu la mort de l’un des nôtres.

« Bien, reculez. »

De la même manière, je créai entre mes mains un liquide acide prêt à corroder le mécanisme de fermeture. Néanmoins, la seule application de ma paume sur la porte la fit s’entrouvrir légèrement, et je réalisai, un peu bête, l’absence de serrure.

Les doigts sur le panneau de bois, je poussai doucement et il tourna sur ses gonds dans un crissement sinistre qui ne manqua pas de réveiller la bête.

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